L'ancienne gare
Présentation tirée d'un article de la Voix du Nord (par Mme Dorothée MOREL)
…Les temps ont changé et le modernisme a pris le pas sur la vie simple et paisible ; mais pourtant certains se souviennent et racontent cette chronique du temps passé où l’homme et la machine, à ses premiers pas, formaient un tandem indissociable tout comme sur la ligne Armentières-Berguette. Ligne sillonnant nos communes et dont l'histoire mérite de vous être contée...
De la naissance à la mise en service
Bien avant la concrétisation de cette ligne que certains appellent Armentières-Berguette, d'autres Armentières-Arques ou encore Armentières-St-Omer,
l'envie de créer celle-ci et de la mettre en service suscite bien des problèmes. Deux projets sont élaborés dès la première partie du XIXème siècle, mais ni l'un ni l'autre n'aboutissent bien que la vallée de la Lys ait dans l'espoir d'obtenir sa voie ferrée... En 1842, la commune de Merville attend impatiemment celle-ci et propose un contrat espérant que la ligne Li1le-Dunkerque passe par la commune mais les hauts dignitaires préfèrent le chemin de Bailleul. En 1845 nouvelle tentative : sur la ligne Fampoux-Hazebrouck, (Fampoux : à l’Est d’Arras), la Cie Rothschild propose 38 ans de travail pour mettre en place cette concession ; la Cie banquière de Paris O'Neille, rivale par excellence, propose quant à elle 37 ans et 316 jours ; elle décroche alors le contrat et tout laissait présager que la ligne serait enfin réalisée... Mais suite à la crise de 1847 et à la révolution de 1848, la Cie se voit dans l'incapacité absolue de tenir ses engagements... Plus tard James de Rothschild reprend l'affaire et préfère (vengeance facile) suivre la ligne Berguette-Isbergues au détriment de Merville... La ligne n’était toujours pas créée ... Il fallut attendre 26 ans pour que la ligne soit déclarée d'utilité publique, en 1871 un texte précise que : "son exploitation va donner un débouché aux produits si remarquables de l'agriculture de ce pays et sera un stimulant pour l'industrie qui ne peut manquer de venir s’implanter dans cette riche contrée": la concession est accordée à la compagnie du Nord-Est, l'exploitation est ouverte le 1er août 1874, reprise en 1875 par la compagnie du Nord. La ligne suivit alors ce tracé: Aire-Berguette, St-Venant, Merville, Lestrem, La Gorgue, Laventie, Sailly-sur-la-Lys, Bac- St-Maur, Armentières, les deux communes de Calonne et d’Erquinghem semblent s'y ajouter ultérieurement... La ligne fonctionne désormais et nos villages retentissent des sifflets et des cris des cheminots, des grincements et des rouages des machines. Quant aux horaires et aux tarifs, ils sont nombreux et variés, bien différents de notre époque! En 1905, il y avait 7 départs quotidiens des trains de voyageurs pour Berguette et 6 départs pour Lille ; en 1931, il pouvait y avoir jusqu'à 32 trains par jour, Mme Jeanne Delenclos de Bac-St-Maur se souvenant même que le premier train partait à 5h00 et que le dernier était celui de 23h30; une évolution rapide tout comme celle des tarifs : en 1874 un billet en seconde classe valait 0,075 franc pour atteindre 4,20 francs en 1948... Quant à l'utilité de cette ligne nous ne pouvions plus en douter ; qu'il s'agisse de l’ouvrier mineur du bassin houiller, du directeur de fabrique de Sailly, de l'ouvrier au fil de Bac-St-Maur, de l'amateur de pêche d'Armentières, du galochier de Laventie, tous se retrouvent dans les voitures toutes neuves de la ligne du chemin de fer ; un intérêt économique considérable et un moyen de transport conséquent supplantant le trafic fluvial de la vallée de la Lys tout en suivant parallèlement son parcours... Cette ligne fut aussi meurtrière et certains se souviennent encore de la catastrophe survenue le 28 décembre 1941 au lieu-dit les Planquettes à Laventie près du passage à niveau 40 au grand chemin. Le train 2407 venant d'Armentières a 12 mn de retard, son mécanicien devait enlever un wagon de bestiaux en gare de Laventie ; durant cette manœuvre, il entend un sifflet devant lui annoncer de dégager l'aiguillage de plusieurs mètres ; celui-ci l'interprète comme un signal de départ prématuré. En face, le train 2402 venant de La Gorgue et se dirigeant vers Laventie passe au vert ; la garde- barrière du passage à niveau 40 entend les deux sifflets en même temps ; elle comprend que le drame est inévitable puisque deux convois étaient alors annoncés et elle en imagine les conséquences; elle fait signe et le dispositif de sécurité est actionné ; la distance entre les deux gares est trop faible ; le mécanicien ralentit son convoi mais 200 mètres plus loin la collision est inévitable ! Dès le lendemain le constat fait état de 47 morts et 63 blessés bilan qui sera définitivement établi à 67 morts et 43 blessés dès le 1er janvier 1942. C'est une vision d'horreur qui s'impose dès lors et certains rescapés vont, comb1e de malchance, périr en fuyant dans les champs détrempés et se noyer dans un bassin de décantation. Très vite on pense à un sabotage de la ligne mais en analysant la situation, on comprend qu'il s'agit d'une mauvaise interprétation des signaux due au manque d'éclairage durant cette période de guerre. Une catastrophe considérée comme étant la plus grande survenue dans la région du Nord et dont les souvenirs et la vision d'horreur planent encore dans certains esprits ; même si d'autres accidents, moins lourds de conséquences, firent aussi partie de l'histoire de cette ligne : sabotage en 1943 ; en effet les Allemands alimentaient leurs réserves de gaz à Bimoïd par embranchement camouflé... Après la libération, le trafic fut tout aussi florissant : les courtiers en pommes de terre avaient leur quai de chargement dans chaque gare. A Lestrem, jusqu'en 1956 des trains entiers alimentaient la féculerie. La cartonnerie LELEU recevait et livrait ses matières premières par cette voie. Il en était de même pour la Standard Française des pétroles qui acheminait son bitume par rail également. Mais cette ligne fut aussi l'occasion d'autres fréquentations : en effet, pendant des années, elle était utilisée par les tisserands qui se rendaient aux filatures d'Armentières, par les écoliers qui après le "certif", montaient vers les lycées. C'était aussi un "baptême'' pour les appelés qui rejoignaient leurs casernes via le "Calais-Bâle'', bien connu !
Qu'en est-il aujourd'hui ?
La machine a désormais suivi le cours du temps et les gares se sont fermées une à une, seules Berguette et Armentières étant encore en fonction pour les trains voyageurs. En 1978 les machines à vapeur sont remplacées par les tractions diesel ; en 1985, le 20 avril plus précisément, le TGV passa à une petite allure poussé par un locotracteur, le trafic étant encore considérable à Lestrem pour l'établissement Roquette Frères. Mais les machines ne sont pas les seules à avoir disparu. Certains se souviennent encore des panneaux aux portillons représentant une femme avec un enfant à la main et qui annonçaient : "avant de traverser, regardez dans les deux directions, un train peut en cacher un autre''. Les machines ont alors évolué, tout comme les hommes les faisant fonctionner ; plus question d’entendre la voix du chef de gare, les cris de la garde-barrière, les grincements des rouages. Désormais supplantées par une atmosphère souvent déshumanisée et à l'allure glaciale des simples ordinateurs vous proposant vos billets, les voies ferrées ont ainsi perdu leur charme. Seuls les grands axes sont mis en valeur, restaurés et aménagés en conséquence, au détriment de nos petites gares qui sont parfois même sans trouver de nouveaux propriétaires, acheteurs de leur histoire et de leur mémoire. Que de départs précipités en vue d'aller travailler, de rencontres furtives pour conter fleurette, de trafic plus ou moins légal, nos vieilles stations ont dû être le témoin... Vivants édifices muets et impassibles, vous avez malheureusement subi les aléas du temps...
La ligne Armentières-Berguette
La ligne qui mesurait un peu plus de 30 km est inaugurée le premier août 1874 par la compagnie des trains du Nord-Est. A cette époque, le transport en train est en plein essor. Son tracé très facile dans la plaine de Flandres ne comporte aucun ouvrage d'art marquant à part la traversée du canal de Neuffossé à Guarbecque. Elle relie la capitale, à l'époque du tissage du drap de lin à une aciérie ancienne à Isbergues près de Berguette (les deux localités sont maintenant jumelées). La ligne continuait vers St-Omer par Aire-sur-la-Lys en suivant le canal de Neuffossé. Dès sa mise en activité, la gare connaît un fort succès populaire et permet aux gens de la campagne d’aller maintenant aisément vers les grandes villes comme Armentières.
L'espacement et le croisement des trains sont régis par le cantonnement téléphonique assisté de cloches électriques. Peu de trafic : un aller-retour d'un train de voyageurs omnibus Lille-Berguette assuré par une rame réversible banlieue Nord tirée par une 141TC et le train de desserte Lille Délivrance-Merville et retour. Le train de voyageurs circule tous les jours, avec une fréquentation importante en semaine de gens allant travailler vers Armentières et surtout Lille. Le train de desserte (tiré par une 040D Nord), circulant les jours de semaine, est tributaire du trafic généré par les activités agricoles : blé, pommes de terre, petits pois, engrais, machines agricoles, bestiaux... En gare de Laventie, travaillent de gros clients de la SNCF : expéditeurs de pommes de terre, coopérative agricole... (Un expéditeur de pommes de terre a même un court embranchement côté Armentières); une distillerie de pommes de terre de La Gorgue avait son embranchement arrivant en gare côté Merville desservi par sa propre locomotive une petite 020T, l'activité s'est interrompue dans les années cinquante. Enfin il ne faut pas oublier le trafic important des colis généré par les nombreux ateliers de chaussures situés dans Laventie.
Le plan de voie est le témoin d'une activité passée florissante. En 1955, la voie 2 ne sert quasiment plus, (un croisement en gare entre le train de desserte du matin et un train de pèlerins). Les voies de garage de longueur importante sont utilisées périodiquement au stockage de nombreux wagons couverts qui passent plusieurs semaines en gare. A cette époque, il y a pratiquement autant d'activité à la réception qu'à l'expédition.
Le personnel comprend quatre cheminots : le chef de gare, un facteur mixte, un facteur enregistrant et un homme d'équipe. Le chef de gare a toutes les casquettes : il partage avec le facteur mixte les tâches relevant de la sécurité, cantonnement téléphonique, gestion des cloches, tenue des registres, relations téléphoniques avec les gares encadrantes, la responsabilité des manœuvres du train de desserte, la réception et l'expédition des trains de voyageurs. Naturellement il avait un important travail de bureau, statistiques, vérifications, etc... Il ne faut pas oublier, quand cet agent est seul, la manœuvre des barrières roulantes du PN au bout du quai côté Armentières. Le facteur enregistrant a une activité de gestion, d'écriture et de comptabilité, d'enregistrement des colis; il s'occupe de l'accueil en gare quand il y est seul. Quant à l'homme d'équipe, il est à la fois, lampiste, atteleur, graisseur d'aiguillages, manutentionnaire des colis; il procède au nettoyage sommaire des wagons vides, au pliage des bâches qui avaient abrité les chargements; il est homme de ménage pour les locaux, jardinier pour les abords...
En octobre 1958, après la fermeture aux voyageurs, le poste du facteur mixte est supprimé, puisque la gare ne sera plus ouverte que de 8h à 18h, alors qu'auparavant, elle était ouverte pour le premier train qui passait à 6h30 et fermée après le passage du dernier à 19h15. Il y eut épisodiquement un élève exploitation en stage.
Source : Petites Histoire de Lestrem II par l'association Valorisation du Patrimoine de Lestrem.