Le tramway, la Maria
Fin du XIXème siècle le gouvernement français met en œuvre une politique du chemin de fer. Partout des lignes se créent. En 1890 se fonde la Compagnie des Tramways de l'Artois, parmi plusieurs de ses projets : la ligne Béthune-Estaires. Ce tramway à vapeur à voie métrique part de la gare de Béthune et dessert les villes de Locon, La Couture, Lestrem, La Gorgue et Estaires sans que rien ne signale son passage. La gare d'Estaires se trouve rue de Lille à l'entrée actuelle du cimetière. On a vu grand : les installations comportent un quai à voyageurs de 100m, un autre quai à marchandises, une remise à locomotives, un bâtiment à voyageurs à un étage, diverses voies de garage et un château d'eau. Au pont de la Meuse, une voie de 164m dessert le quai.
L'une des locomotives a été baptisée "Maria". Peu à peu, les usagers de la ligne vont désigner ainsi toutes les locomotives puis le tramway lui-même. Peu puissantes elles peinent dans les montées du pont de la Meuse et doivent souvent faire le plein d’eau.
La « Maria » va nous emmener des années 1899 jusqu'en 1932 : 33 ans durant lesquels les tramways sillonnèrent les rues de Béthune et la campagne du Bas-Pays pour aller jusqu'à Estaires et en revenir. La ligne Béthune-Estaires fut construite par Théodore Fresson. Petit à petit la ligne prit forme et fut ouverte le 18 juin 1898. Le point de départ était la gare de Béthune puis progressivement les rues de la ville pour traverser ensuite le Bas-Pays en passant à : Essars, Locon, Lobiau, La Couture, La Fosse, Les Trois Tilleuls, Lestrem, Pont Riqueult, La Gorgue, Estaire Gare. Pour terminer en rejoignant la ligne de chemin de fer St-Omer-Armentières via Lestrem.
En 1ère classe l'ébénisterie est en acajou, les sièges garnis de drap et de coussins à ressort, les dossiers rembourrés de crin; en 2nde classe, l'ébénisterie est en frêne et les sièges en lattes de pitchpin non jointives ! Le trajet Estaires-Béthune dure 1h 22 à une moyenne de 13 km/h, ce qui est une prouesse compte tenu des nombreux arrêts. La vitesse est limitée à 10 km/h en ville et à 25 km/h hors agglomération.
Une vue des installations de la gare de l'Artois à Béthune
La guerre de 1914-1918 : le dépôt est bombardé en juillet 1915
Les 6-18 et 19 juillet 1915, la gare de Béthune eut à subir plusieurs bombardements. Le 6 juillet à 13 h 25 mn deux obus endommagèrent le bâtiment des Tramways de l'Artois et plusieurs machines.
Pendant la guerre le front est à quelques kilomètres seulement. La ligne assure l'approvisionnement des troupes et à partir de 1916 est placée sous le contrôle de l’armée britannique. Le 9 avril 1918 l'armée allemande déclenche une violente offensive qui verra la destruction et l’occupation de nos villes et villages une grande partie du matériel ferroviaire, des rails et des ponts, est détruite. La paix venue, les travaux de reconstruction de la ligne démarrent. Dès septembre 1919 la ligne Béthune-Locon est remise en service mais ce n’est qu'en 1926 qu’elle atteindra Estaires. Malheureusement la ligne n’est pas rentable et le 31 décembre 1932 elle ferme.
Les embranchements particuliers sur Lestrem
Six allers et retours quotidiens à une vitesse folle de 10 km/h en agglomération et de 20 km/h en campagne, cette limite hors des communes fut ensuite portée à 25 km/h ! Le premier départ de la gare de Béthune s'effectuait à 5 h 52 mn du matin le 18 juin 1899 pour arriver à Estaires à 7 h 14 mn. Le premier train au départ d'Estaires démarrait à 6 h pour arriver à Béthune à 7 h 22 mn. Il passait à Lestrem à 6h28 mn. Les autres départs de Béthune du 18 juin 1899 étaient 7h45 mn, 10h15 mn, 13h25 mn, 15h35 mn et 18h05 mn.
La station de La Fosse : Dès 1903, afin de desservir la distillerie Désiré Leleu et fils à l'aide d'une plaque tournante un embranchement fut construit. Il pénétrait dans l'usine après avoir traversé perpendiculairement la ligne principale du tramway et le G.C. No 177.
Deux wagons en attente devant la distillerie Leleu devenue cartonnerie (Aujourd'hui ZA de l'Alouette)
Le dernier voyage de la "Maria" eut lieu le 31-12-1932. La ''Maria'' à 6h30 mn du soir a lancé dans les rues son ultime tourbillon de fumée noire. La place de Béthune était noire de monde lorsque l'antique convoi démarra tout doux... tout doucement. Le 31 décembre, le tramway s'apprête à partir pour la dernière fois en présence de nombreux curieux.
Dans le train au son de l'accordéon, les couples dansèrent et pourtant, le ''tacot'' filait à toute allure. On chronométra certains moments du trajet à 30 km/h. Jamais, au grand jamais "Maria" n'avait accompli une pareille performance, elle voulait finir en beauté et elle y réussit.
L'arrivée sur la place d'Estaires fut sensationnelle. Le trajet avait duré 1 heure exactement.
l'Echo du Nord retrace les péripéties du "Voyage d’adieu" de "Maria" : « Maria » avait fait sa grande toilette, ses ferrures et ses cuivres étaient astiqués et au long de ses wagons, flottaient des banderoles et des drapeaux tricolores. Retrouvant ses roues de vingt ans, "Maria" s’en fut alerte, récoltant chez les populations des villages des sourires, des saluts, auxquels les passagers répondaient par des interpellations amusées. L’arrivée sur la place d 'Estaires fut sensationnelle…, il y eut entre Béthunois et Estairois une même pensée : fêter la "Maria". Tous se retrouvèrent à l'hôtel Marchault autour d’un menu succulent suivi d’une danse endiablée où chacun s’en donna à cœur joie. Et ce fut le dernier retour… (Documents émanant de la ''Gazette du temps jadis'' (Voix du Nord de 1982))
Source : Petites Histoire de Lestrem II par l'association Valorisation du Patrimoine de Lestrem.